Incroyable sensation que celle signée vendredi, à Eindhoven, théâtre de l'Euro, par Alain Bernard, le Français s'emparant, dès les 1/2 finales, du record du monde du 100 m (47"60). Huit ans après le temps de référence établi à Sydney (47"84) par VDH, forfait ce vendredi, l'Antibois retire 24" au chrono du Néerlandais pour devenir, à 24 ans, l'homme le plus rapide du monde. Bernard réussit le tour de force d'éclipser Manaudou, en or sur le relais 4x200 m et argentée sur 100 m dos. Muffat et Duboscq tous les deux bronzés.
Au soir de cet exploit monumental, appelé, c'est une certitude, à rentrer dans la légende de la natation et du sport international, comment ne pas avoir une pensée pour VDH, Pieter Van den Hoogenband, dépossédé sur ses propres terres, devant son public, et surtout sans pouvoir défendre ses chances en raison d'un mauvais virus (qui l'avait contraint à déclarer forfait le matin même), de ce record mythique du 100 mètres nage libre. Celui que le géant batave avait établi un soir d'été australien, il y a huit ans, lors des JO de Sydney en 47"84. VDH succédait alors dans la lignée aux Biondi, Popov et autre Klim...
Huit ans plus tard et c'est un Français qui inscrit son nom au panthéon de la natation. Alain Bernard l'a fait! Sans attendre l'échéance olympique de Pékin cet été, l'Antibois, qui comme Laure Manaudou, venait avant tout prendre la température à Eindhoven et valider sa préparation, a fondu sur ce chrono si recherché, si convoité, laissant s'exprimer ce potentiel exceptionnel, reconnu de tous. Vendredi, à Eindhoven, Bernard ne s'est pas contenté de rejoindre Alex Jany et de succéder à Alain Gottvallès (*), dernier Français ce jour, à s'être emparé de la meilleure marque planétaire - c'était il y a 44 ans, à Budapest, en 52"09 - le Français a écrabouillé de... 24 centièmes le record de VDH pour le porter à un niveau insoupçonné: 47"60, lui qui n'était jamais passé sous les 48 secondes, son record en carrière étant fixé à 48"12 depuis son premier titre national l'an passé. Une performance inouïe qui laisse ses concurrents terrassés par un chrono venu d'ailleurs. Lui-même, à chaud, après avoir affiché toute son incrédulité à son arrivée dans le bassin, parvenait mal à saisir l'ampleur de l'exploit: "Je ne pensais pas que ça allait venir si vite, même si je savais que j'avais quelque chose de gros dans les pattes. Lorsque j'ai vu que j'avais battu le record, j'ai tremblé, ça doit se voir dans mes yeux, c'est énorme!"
Dans la légende avec Gottvallès...
Enorme en effet que de voir l'Italien Filippo Magnini et le Suédois Stefan Nystrand, ses rivaux et les seuls nageurs à être parvenus avant lui à passer sous les 48 secondes, réduits au simple rang de spectateurs, à l'image du Transalpin, placé dans la même demi-finale que Bernard mais relégué à plus d'une seconde (49"97). Ou encore du Suédois qui, dans l'autre demi-finale, n'était crédité que du troisième chrono en 48"70 derrière... un autre Français. Car l'exploit de Bernard s'accompagne d'une perspective enchanteresse, celle de voir samedi, à l'occasion de la finale, Fabien Gillot, son rival à l'échelle nationale, tiré vers le haut par cette locomotive exceptionnelle et qualifié en 48"68, l'accompagnait sur les deux plus hautes marches du podium.
On voit mal comment ce titre européen, son deuxième après celui décroché à Debrecen, en Hongrie, en petit bassin, en décembre dernier, pourrait échapper à ce Bernard surpuissant, au sujet duquel son entraîneur, Denis Auguin, avait deviné, après sa course du matin en série négociée en 48"70, l'une des meilleures qualités de nage de la part de son élève. L'exploit était alors en gestation, quelques heures avant ce séisme d'une magnitude toutefois insoupçonnable. 22"88 aux 50 premiers mètres, puis 24"72 sur une longueur du retour hallucinante de puissance, Bernard (1,96 mètre, 84 kilos) déployant sa monstrueuse envergure de 2,05 mètres pour dégager cette formidable puissance mise au service de sa technique impeccable. Du grand art!
Et dire que son objectif était fixé au mois d'avril et aux sélections olympiques de Dunkerque... Le voilà aujourd'hui qui devient à 24 ans l'homme le plus rapide du monde et donc le nageur à abattre sur la route de Pékin. Ce record monumental lui procure un avantage psychologique considérable mais constitue aussi une lourde charge qu'il lui faudra savoir gérer dès samedi, lorsque de retour dans le bassin d'Eindhoven, il va croiser le regard de ses rivaux. Jeune homme à la tête bien faite, et surtout bien posée sur ses épaules XXL, Bernard a appris à ses dépens pour savoir maîtriser ses émotions. Le voilà idéalement lancé vers son objectif olympique. Celui pour lequel Alain Gottvallès, son glorieux prédécesseur, décédé il y a presque deux mois, n'avait pas à l'époque su se motiver. En un magnifique et émouvant relais entre ces deux champions tricolores d'exception, Bernard, lui, saura se montrer digne de ce record venu d'ailleurs.